Aéronautique: Un secteur encore fragile


Par Abdelaziz Meftah - Economie et entreprises, le 15 Novembre 2005

La sous-traitance aéronautique au Maroc aligne les bonnes performances. En 2004, le chiffre d’affaires global généré directement par cette branche avoisine les 600 millions de dirhams.


Il est appelé à doubler pour les implantations existantes d'ici 2008 pour atteindre 2 milliards de dirhams. Pour l'exercice écoulé, certaines entreprises parlent d'une progression de 20% de leur activité. Un niveau qui est maintenu en 2005, malgré une conjoncture internationale plutôt défavorable. Les entreprises nationales fondent de grands espoirs sur l'arrivée de nouveaux opérateurs.

En effet, de nouvelles implantations sont déjà décidées. Nous en citerons à titre d'exemple Hurel Hispano qui a signé une convention d'investissement avec le gouvernement, et prévoit la création de 300 emplois sur les cinq prochaines années, pour la réalisation des éléments d'inverseurs de poussée. Des missions d'étude sont, en outre, réalisées. C'est le cas de la mission de prospection organisée par la Chambre de commerce et d'industrie de Seine et Marne à Casablanca et Tanger, en octobre 2005. Les groupes industriels eux-mêmes organisent des missions d'évaluation dans tous les pays et leur attention a été attirée au Maroc par les regroupements sur la zone de Nouaceur et dans la zone franche de Tanger. Les sous-traitants européens enfin, poussés par leurs donneurs d'ordres, consultent les organisations marocaines. Bref, l'heure est à l'optimisme chez les opérateurs. C'est le sentiment des rédacteurs d'une étude faite par la FIMME (Fédération des industries métalliques et métallurgiques) en juin 2005.

Le Maroc, de par sa proximité géographique avec l'Europe, son attitude résolument ouverte au développement industriel et sa productivité, a naturellement drainé la demande d'une industrie européenne exigeante, où dominent les petites et moyennes séries, et pour laquelle la langue de travail est encore souvent le français. Erick Sebe, directeur général de la société Aéronautique Sefcam, souligne sans ambiguïté que «nos seuls avantages sont la proximité de l'Europe et la langue». Propos relativisés par Tomas Corbel, directeur général de SERMP, qui estime que d'autres facteurs encouragent les investisseurs étrangers à s'implanter au Maroc. Il s'agit de la stabilité politique, l'existence d'une main-d'œuvre qualifiée sans oublier l'effet d'entraînement qui est créé par les professionnels qui opèrent déjà sur le terrain.
Il n'en reste pas moins que la sous-traitance aéronautique nationale demeure encore modeste. C'est en tout cas ce que pensent les grands donneurs d'ordres. Pour eux, la concurrence dans ce secteur est quasi inexistante. Aujourd'hui, 80% de l'activité industrielle dans le secteur est réalisée par SNECMA Morocco Engine Services, EADS Maroc Aviation et MATIS Aerospace. Pour Bruno Igounenc, vice-président du groupement des industriels marocains aéronautique et spatial (GIMAS) et directeur général d'EADS Maroc Aviation, «le secteur est modeste car il est récent, mais pas pour d'autres considérations».

Pour leur part, les rédacteurs de l'étude sur le secteur estiment que le nombre limité des acteurs nationaux dans ce créneau fortement technologique trouve son explication dans les conditions propres à l'investissement.

Entrer sur le marché aéronautique, c'est investir sur du long terme: la sélection des fournisseurs est sévère, leur qualification est longue, l'activité nécessite des efforts importants en organisation, formation, logistique et contrôle qualité. Quelques sociétés à capitaux marocains ont sauté le pas, beaucoup redoutent le délai entre les premiers contacts et les premiers règlements. C'est pour cela que le développement de l'activité au Maroc a été porté par des filiales de sociétés étrangères qui se sont implantées dans le royaume, ou par des créations de structures communes avec des entreprises nationales. Il faut dire que les investisseurs étrangers ne se bousculent pas au portillon car «le pays ne supporte pas certains métiers par manque de main-d'œuvre qualifiée», insiste le directeur général d'Aéronautique Sefcam. De plus, les opérateurs peinent à avoir l'aide des pouvoirs publics. «Même pour le Fonds Hassan II, toutes les entreprises ne sont pas éligibles», déplore ce dernier.

La situation est d'autant plus critique que les besoins exprimés par les donneurs d'ordres sont orientés vers une intégration toujours plus grande des prestations techniques et des services associés, dans un environnement normatif et réglementaire exigeant.

La frilosité des banquiers et l'absence d'aides n'arrangent en rien la situation. «Le système bancaire ainsi que les procédures administratives sont très compliqués. Les taux pratiqués sont, pour leur part, élevés», résume Sebe. S'ajoute à ces entraves le manque de compétitivité des entreprises nationales. Le Maroc, bien qu'ayant un nombre comparable d'entreprises, génère dix fois moins d'activité que la Pologne par exemple. D'une manière générale, l'on peut aisément avancer que la situation du secteur demeure fragile et largement soumise aux décisions d'investissement et aux orientations d'achat des grands donneurs d'ordres, qui ne sont encore que peu liés par leurs investissements au Maroc. «Le secteur est fragile car il y a une énorme concurrence des pays de l'Europe de l'Est», estime Igounenc. Mais pas seulement. Les grands donneurs d'ordres préfèrent aller sur des marchés comme la Chine ou la Russie qui leur passent en contrepartie de grosses commandes d'avions notamment. Echange de bons procédés ! «Malheureusement, le Maroc achète des avions américains et les grands donneurs d'ordres sont européens», ajoute le patron d'EADS Maroc.

Le marché

Pour ce qui est de la morphologie de la branche, il faut noter que le marché est structuré à partir du client final, le passager civil, ou le «soldat» des forces armées, en plusieurs niveaux commerciaux qui font tous intervenir des sous-traitances. Les commandes des compagnies aériennes (niveau 0) représentent 315 millions de dirhams, soit 55% du chiffre d'affaires du secteur national de la sous-traitance aéronautique. Royal Air Maroc est naturellement le premier client pour les opérations de maintenance de ses appareils. Elle a d'ailleurs été à l'origine du développement d'une activité de maintenance reconnue, qui s'exporte maintenant en Afrique de l'Ouest, en particulier au Gabon et au Sénégal. Les commandes des avionneurs et motoristes (niveau 1) sont évaluées à 183 millions de dirhams, soit 32% du chiffre d'affaires global. Enfin, 13% du chiffre d'affaires du secteur de l'aéronautique au Maroc est généré par les commandes des concepteurs et fabricants de sous-système (niveau 2), soit 75 millions de dirhams.
Ce sont ces deux dernières catégories qui portent le plus fort potentiel de croissance, à travers de nouveaux marchés de sous-traitance, de nouvelles implantations ou d'évolution d'entreprises locales vers le secteur aéronautique. En outre, toutes les entreprises marocaines intervenant dans la sous-traitance aéronautique, hors opérations de maintenance pour les exploitants nationaux civils ou militaires, ont une vocation exportatrice, soit directement, soit par le biais d'une sous-traitance de rang inférieur pour des sociétés elles-mêmes exportatrices. Le tissu de sous-traitants capables d'adresser les marchés aéronautiques et spatiaux au Maroc n'est pas encore assez développé pour parler vraiment de concurrence sur le territoire national. C'est d'ailleurs un sujet de préoccupation pour les donneurs d'ordres qui souhaiteraient un tissu plus dense avec une concurrence constructive, à la fois pour maintenir la pression sur la productivité et réduire les risques en cas de défaillance de sous-traitants.
Notons enfin que les activités aéronautiques sont essentiellement localisées à Casablanca: 92% du chiffre d'affaires et 67,6% des emplois.
La Zone Franche de Tanger (TFZ) est, quant à elle, en développement rapide, avec l'arrivée de nouvelles entreprises comme Atlas Productions ou leur extension comme DL Aérotechnologies.

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