Benhima: La privatisation de Royal Air Maroc est une décision qui revient à l'Etat


Par Revue de presse, le 19 Décembre 2011

Mr Driss Benhima, PDG de Royal Air Maroc, a accordé un entretien au quotidien Marocain Le Matin du Sahara. Il revient longuement sur le contrat-programme récemment signé avec l'état, sur le volet investissement et sur le plan social mis en place.


LE MATIN: Un contrat-programme est considéré habituellement comme le résultat d'une négociation entre l'Etat actionnaire et l'entreprise tendant à fixer les droits et obligations de chacune des parties et précisant les missions de l'entreprise ainsi que les conditions économiques et financières de leurs réalisations. Quel est l'objet du contrat-programme entre l'Etat et la RAM ?

Driss Benhima: C'est un acte très important de contractualisation des attentes du gouvernement vis-à-vis de la compagnie nationale et je dois dire que c'est un grand soulagement pour nous, parce qu'il n'est pas aisé à la fois de définir une politique pour la compagnie et d'évaluer sa gestion si les attentes de l'actionnaire principal ne sont pas définies. Un exemple permet de toucher cette difficulté du doigt : j'ai constaté que le déficit du réseau domestique faisait l'objet de remarques à travers l'audit de la Cour des comptes, or il s'agit d'une mission de service public qui a fait l'objet d'un précédent contrat-programme signé en 2009 entre l'Etat et la RAM. On voit bien que désormais grâce au contrat-programme, la problématique devient plus lisible pour tous. Nous allons non seulement maintenir notre réseau domestique mais également l'étendre, car ce contrat-programme prévoit les mesures à prendre pour équilibrer chaque ligne déficitaire de ce réseau et il est aujourd'hui évident pour tous que si les moyens de rétablir l'équilibre d'une ligne déficitaire ne sont pas réunis, elle ne sera pas maintenue. Le contrat-programme donne aussi une visibilité pour la compagnie en précisant les objectifs de service public portés par l'Etat et les mécanismes de prise en charge qu'il entend mettre en place. Le contrat-programme précise les missions de la compagnie nationale et formalise sa valeur ajoutée en matière de soutien au secteur touristique national et de désenclavement régional.

LE MATIN: Vous avez toujours milité pour une « adéquation entre la responsabilité et les moyens». Autrement dit, «la capacité d'action du dirigeant par rapport à ses responsabilités». Avec la recapitalisation de RAM, il semble que vous avez été entendu. Quels sont les objectifs de cette opération ?

Driss Benhima:Je tiens à préciser que pour RAM, ce contrat-programme est d'abord une avancée qualitative de premier plan avant d'être une simple recapitalisation financière. Ses aspects les plus décisifs sont les dispositifs d'accompagnement: à titre d'exemple, le hub de Casablanca où des mesures sont prévues pour la mise à disposition de RAM d'infrastructures aéroportuaires adaptées pour l'optimisation de notre développement et l'amélioration de la qualité de service. Ceci est très positif pour nous et nos clients; nous comptons beaucoup sur cette approche partenariale pour améliorer l'attractivité de RAM à travers l'aéroport Mohammed V en tant que hub international de 1er rang de et vers l'Afrique de l'Ouest.
L'augmentation du capital de la Royal Air Maroc, grâce à la contribution du Fonds Hassan II pour le développement économique et social, dont la convention a été signée sous la présidence de Sa Majesté, que Dieu l'assiste, favorisera un repositionnement meilleur de la compagnie sur le continent africain et le renforcement de ses capacités afin qu'elle puisse mieux faire face à la compétitivité. Concernant le volet investissements, la compagnie a un ambitieux programme pour la période du contrat, c'est-à-dire 2011-2016, d'un montant de 9,3 milliards de dirhams. L'Etat accompagne ce plan par une contribution à hauteur de 17% de cette enveloppe, soit 1,6 milliard de dirhams. Surtout, ce montant est à mettre en rapport avec l'économie d'un milliard de dirhams que Royal Air Maroc va dégager chaque année dans le cadre de notre plan de rationalisation interne approuvé par l'ensemble des délégués syndicaux le 18 août dernier. Les actions qui concourent à la réalisation de cette économie sont déjà engagées avec de bons résultats. C'est le cas par exemple du plan social, de l'optimisation de la flotte, de la restructuration du réseau, de la réduction des frais généraux et je rends hommage à tout le personnel de la compagnie qui s'est mobilisé avec beaucoup d'engagement pour réussir la mise en œuvre de ce plan.

LE MATIN: Contrat-programme, restructuration, comment se déroule la mise en œuvre de votre plan social ? Pouvez-vous nous avancer quelques chiffres et les conditions dans lesquelles se passent les départs du personnel ?

Driss Benhima: Grâce à la prise de conscience par le personnel et ses représentants de la gravité de la situation, mais aussi grâce à un package complet d'incitations, d'indemnités et de mesures d'accompagnement mis au service de ceux qui nous quittent, le plan se déroule dans de bonnes conditions. Aujourd'hui, sur 1560 départs prévus, nous en sommes déjà à 1087 départs acceptés (soit 70% de notre objectif), dont 790 sont déjà effectifs, les autres devant s'étaler sur les semaines qui viennent. Contrairement à ce qui a pu être lu ou entendu à tort ici ou là, Royal Air Maroc ne ménagera aucun effort pour mener ce chantier de la manière la plus humaine qui soit, dans une logique participative et dans le respect des accords conclus avec les délégués du personnel qui ont approuvé le plan de rationalisation et notamment son volet social. Evidemment comme toute opération RH de grande envergure, notre plan de départ volontaire ne va pas sans quelques cas posant des difficultés somme toute normales. J'en veux pour exemple la catégorie de personnel des hôtesses et stewards dont plus de 140 vont bénéficier du plan de départ volontaire. A ceux-là s'ajoutent une cinquantaine de cas moins consensuels qui, après apurement de leurs congés, ont la possibilité soit de bénéficier des conditions avantageuses du plan de départ volontaire (doublé d'un accompagnement personnalisé à la reconversion), soit d'être réaffectés suivant les besoins de la compagnie. Le plan social de réduction des effectifs de RAM me semble, à ce jour, un modèle pour les entreprises nationales, qui seraient confrontées au même type de conjoncture.

LE MATIN: Devant les membres de la CGEM, vous avez déclaré que la crise de l'aérien n'est pas terminée. Elle devrait même s'accentuer l'année prochaine. Question : le contrat-programme vous met-il la RAM à l'abri des aléas de la conjoncture et de l'intensité de la concurrence ?

Driss Benhima: Royal Air Maroc est la 2e compagnie du continent africain en termes de chiffre d'affaires et la 3e en termes de trafic, nous sommes donc un acteur important de ce marché concurrentiel marqué par la conjoncture internationale. Le contrat-programme vient en appui de notre plan de rationalisation interne qui vise à la modernisation et au rajeunissement de Royal Air Maroc. Son objet est de permettre à RAM de s'adapter le plus rapidement possible à un environnement en mutation. Un des objectifs de ce contrat-programme est d'assurer une rentabilité à Royal Air Maroc, pour traverser les aléas conjoncturels. Cet objectif sera atteint dans quelques années, 2012 s'annonçant encore comme une année difficile pour la secteur du transport aérien : le trafic Maroc-Europe, qui représente près de 60% de notre chiffre d'affaires, risque d'être marqué par la crise économique en Europe et un prix du carburant élevé. La demande, jusqu'en janvier 2012 inclus, semble atone et on le voit: en effet, cette conjoncture s'accompagne d'un tassement de l'offre des compagnies low cost, qui après avoir multiplié leur offre par douze depuis 2006 semblent stagner pour cet hiver, avec même des retraits importants pour certains opérateurs.

LE MATIN: La RAM, malgré cette conjoncture morose, se classe seconde en Afrique après la South African Air Lines et envisage nombre d'investissements prévus d'ici 2016 ? Quels sont ces investissements ?

Driss Benhima: Des investissements conséquents sont en effet prévus pour l'amélioration continue des produits et de la qualité de service au client, car ce volet revêt pour nous une importance considérable. Notre plan d'investissement vise également à consolider notre position de compagnie leader en Afrique et de premier opérateur aérien dans le tourisme au Maroc. Des investissements importants sont programmés dans ce cadre et c'est ainsi que nous prévoyons la modernisation et le développement de la flotte à travers l'acquisition de 19 avions de nouvelle génération, afin de consolider la présence de la compagnie sur ses marchés. D'autres investissements sont prévus parmi lesquels la modernisation des outils de gestion, l'optimisation des systèmes d'information à travers la mise en place d'un système intégré pour un meilleur suivi des performances de la compagnie.

LE MATIN: Une question que tout le monde se pose : le contrat-programme est-il le prélude à la privatisation de la RAM ?

Driss Benhima: La privatisation de la RAM est une décision qui revient à l'Etat, mais la direction de la compagnie ne peut pas ignorer que la RAM fait officiellement encore partie de la liste des sociétés dites privatisables. Nous faisons donc en sorte d'être prêts à toute éventualité sans préjuger des décisions gouvernementales futures. Il faut noter qu'à travers le contrat-programme, l'Etat réaffirme avec force l'intérêt qu'il a pour RAM en tant qu'outil public dans le transport aérien et instrument de mise en œuvre de sa stratégie, en particulier celle liée au rayonnement du pavillon marocain, à la promotion du tourisme et au développement territorial. Je saisis cette occasion pour souligner que l'intérêt du gouvernement pour la RAM me semble écarter en toute hypothèse tout retrait du contrôle majoritaire de l'Etat sur la compagnie. En revanche, des partenariats stratégiques sont envisageables, avec la possibilité d'ouvertures partielles du capital, en Bourse ou en direction de partenaires ciblés par l'Etat propriétaire. Le contrat-programme laisse ouvertes toutes ces possibilités, qui seront à choisir à l'issue de l'étude stratégique de développement actuellement en cours de lancement. Mais ce qui me semble le plus important, c'est que le contrat-programme, dont le résumé peut être: «L'Etat apporte un soutien financier à RAM qui, en contrepartie, se restructure en profondeur», donc ce contrat-programme est l'occasion historique de sublimer définitivement les mauvaises habitudes héritées du quasi monopole pour s'adapter au marché concurrentiel en s'appuyant sur les atouts de la compagnie nationale, sur ses réussites des dernières années, sur le volontarisme de son personnel et l'implication efficiente de ses partenaires et parties prenantes.

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