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Quand feu SM Mohammed V lançait la formation des premiers pilotes de ligne Marocains


Par Feu Mohammed Aboulfaouz, le 28 Juin 2012



Il est des événements qui peuvent changer le cours de l’histoire d’un pays, d’une communauté ou tout simplement d’une famille ou d’une personne. L’événement qui nous concerne est le suivant. Les invités du Roi, les dirigeants nationalistes algériens retournaient a Tunis, leur base, a bord d’un avion marocain sous pavillon marocain et dont le Commandant était de nationalité française ainsi que tout l’équipage. Ce pilote, au lieu d’amener ses illustres passagers a bon port, Tunis, les a « livrés » aux autorités coloniales en atterrissant sur l’aéroport d’Alger. Ce pilote a failli à sa mission et trahi la confiance de la compagnie et du pays qui l’employaient. Suite a cet acte de piraterie, Sa Majesté Mohammed V a donné ses Hautes instructions pour lancer et hâter la formation des pilotes civils nationaux.

C’est ainsi qu’en novembre 1958, après concours, une promotion a été envoyée en France, à l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile (ENAC) basée à Orly (Aujourd'hui à toulouse NDLR). Après des études théoriques, sanctionnées par un examen, plusieurs échecs ont été enregistrés. Les rescapés de la promotion ont été dirigés vers le centre de vol de Saint Yan (région lyonnaise) dépendant de la Direction de l’Air Française. Après une sévère sélection, sur avion, une autre partie de la promotion a été élaguée. Restent : Messieurs Haj Hammou – Brahim Bennis – Salah Naji – Ahmed Lachani – Mohammed Aboulfaouz – Mohammed El Maadi.

Monsieur Camel Bekkari viendra au centre peu de temps après. Plus tard arrivent Ali Sebti et monsieur Saad Allah. J’espère que je n’oublie personne. En principe, les stages pratiques se terminent à l’accomplissement de 250 heures de vol. Le notre s’est termine a plus de 750 heures prolongé sur incitation du lobby des pilotes français qui voulaient rester en poste le plus longtemps possible.

Feu MohammedV recevant les premiers pilotes Marocains
Feu MohammedV recevant les premiers pilotes Marocains
Pendant ce stage à Saint Yan, nous avons été qualifiés sur tous les avions de l’école : Morane 733, Morane 760 (jet), Beechcraaft, DC3, sans oublier le fameux SV4 "le stamp". En plus de tout cela, on nous a fait faire un séjour de formation inexpliqué au centre de vol de Carcassonne. Encore du gain du temps. Après cette période, on nous a encore assujettis à un autre stage sur DC3 au Bourget; le Commandant Baddaoui était parmi nous cette fois-ci. En 1964, on a enfin consenti a nous rapatrier à Casablanca où une qualification sur Constellation nous attendait. Nommés Officiers Pilote (Copilote) sur DC3 et Constellation, nous continuons à engranger des heures de vol et d’amasser de l’expérience. Ayant déjà acquis des Caravelles, la RAM nous a expédiés en France pour être qualifiés sur ce type d’avion.

Disposant de cette qualification délivrée par Air France, nous occupons maintenant des postes de Copilotes à part entière. Entre temps, Monsieur Mohammed Kabbej, alors Capitaine de l’armée de l’air (les FRA) est coopté par la RAM. Dès le départ, vu sa forte personnalité et sa facilité de communication, il a été accepté par nous comme notre leader et notre porte parole.

Dans un milieu hostile, nous avons fait bloc autour de lui pour nous imposer et faire aboutir certaines de nos revendications (salaires, etc..). Les ingénieurs navigants mécaniciens ont terminé leur formation et obtenu leurs licences et qualifications. Je citerai en particulier Messieurs Zoheir Ali, Abdellatif Lahlou, Abderazzak Khayat El Fane, Mohammed, Jaouher…

Promotion LeCong - 1956
Promotion LeCong - 1956
Avec l’arrivée des jeunes mécaniciens navigants, et les « lachers » Commandant de Bord, nous pouvons maintenant former des équipages 100% marocains. Monsieur Said Ben Ali, alors Directeur de l’Administration de l’aviation Civile, rejoint en tant que Directeur Général la compagnie dont les hauts cadres sont encore des étrangers. Parmi ses premières mesures, il créa la Direction PNT (Personnel Navigant Technique), plaça a sa tête Monsieur Kabbej et nous accorda une certaine autonomie.
Après examen de la situation de la RAM et suite à de fréquentes réunions, nous avons acquis la conviction qu’il fallait pour notre pays et notre compagnie hâter la marocanisation totale du personnel navigant. Pour se faire, il est apparu nécessaire de fonder l’Ecole Nationale de Pilotage, ce qui a été réalisé peu de temps près.

En 1969, la RAM a acquis les fameux Boeing 727-200. Pour donner une accélération de la marocanisation, nous avons pris la décision de ne qualifier sur ce type d’avion que les navigants marocains chez la firme Boeing à Seattle (État de Washington). C’était un succès total: les instructeurs américains ont apprécié notre niveau, notre habileté et notre dextérité professionnelle. De retour à Casablanca, tous les équipages B727 sont marocains. Par la suite, la RAM, renforçant sa flotte a acheté des B737, des B757 et le long courrier B707 et en 1978, les B747.

Pour poursuivre la marocanisation et pour rendre plus efficiente la gestion des vols, nous avons décidé la création des secteurs. Monsieur Kabbej, directeur du PNT a pris comme option de confier le secteur B727 au Commandant Mohammed Aboulfaouz, secondé efficacement par l’ingénieur mécanicien navigant, Monsieur Abdallah Nahas. Les instructeurs pilotes, étant les commandants El Yaalaoui, Chafia, Cherkaoui et d’autres. Le secteur 737 est revenu au Commandant Brahim Bennis. Le secteur B707 au commandant Ahmed Lachani épaulé par le mécanicien navigant El Ouafi Ben Mohamed. L’Ecole de pilotage est placée sous la houlette du commandant Naji Salah, assisté par les mécaniciens El Ouafi et Medhous Mohamed. Le secteur Caravelle est laissé d’une façon informelle au commandant Aboulfaouz.

A la tête des secteurs, les commandants désignés encadrent toutes les activités aéronautiques, s’occupent de la formation, du maintien du niveau professionnel par des stages de rafraichissement, par des cours et par des séances de simulateur de vol et de contrôles réguliers, ils imposent une discipline stricte de laquelle dépend la sécurité et le bon déroulement des vols. Ils donnent des consignes d’appliquer la stratégie technique et économique dictée par la compagnie. En outre, les secteurs accueillent les jeunes stagiaires sortis de l’école de pilotage pour les qualifier sur les machines et leur organiser la phase "adaptation en ligne". Après quelques mois, ils deviennent alors de pilotes commerciaux officiers pilotes de ligne.

On ne peut pas parler de la direction PNT sans mentionner la formation pilote des deux jeunes filles marocaines. Après leur stage a l’école de pilotage, elles ont été remises au secteur B727 pour leurs qualifications et adaptation en ligne. Elles ont acquis après une période tout à fait standard, le même niveau que leurs collègues masculins. J’ai constaté aussi, avec bonheur, qu’elles pilotaient les avions en toute sécurité, avec douceur et élégance apportant en prime une touche féminine très sympathique. Jamais la sécurité n’était mise en cause. Quand, passager, j’entends annonce le Commandant Madame Bernoussi, je ressens une grande fierté.

Toute la flotte de la RAM et la direction PNT, ainsi structurée, devient un outil paramilitaire aux mains de l’Etat Marocain. On peut maintenant les charger des missions les plus délicates et les plus secrètes. Je me souviens durant la Guerre de Ramadan 1973, entre certains pays arabes et Israël, les pilotes marocains sur leurs avions réquisitionnés ont reçu l’ordre d’effectuer des missions périlleuses de transporter les soldats marocains avec armes et bagages de Fès au Caire, cela avec de moyens de navigation terrestre quasi nul. Alors que les avions égyptiens sont planqués à Benghazi.

Une fois, j’ai fait escale sur cet aéroport, un commandant égyptien m’a accosté pour me dire "vous allez au Caire? Vous êtes des inconscients". Je lui ai répondu que nous n’étions pas inconscients, seulement des patriotes arabes. D’autres missions m’ont beaucoup marqué: juste après la glorieuse Marche Verte, nous avons procédé au transport des troupes et du matériel vers la ville de Laayoune. Où, pour atterrir en toute sécurité et éviter des tirs de SAM russes détenus par le Polisario, nous arrivions sur le terrain a très haute altitude et descendions en plongeant sur la piste en « colimaçon » tel un aigle fondant sur sa proie. Ces missions deviennent permanentes et routinières. Un peu plus facilement, le Sahara Marocain étant sécurisé totalement. Sans oublier l’opération Dakhla où Sa Majesté Hassan II a reçu l’allégeance de la population Saharaouie. Tout l’appareil gouvernemental marocain était sur place.

En 1975, les avions de la compagnie aérienne libyenne étaient cloués au sol. Les commandants de bord français, solidaires avec l’un des leurs, licencié pour faute grave ont abandonné leur poste et rentrer chez eux. Pour résoudre ce problème, le Colonel Khadafi sollicita l’aide du Maroc. Le lendemain, le Commandant Kamel Bekkari, le Commandant Mohamed Aboulfaouz et les ingénieurs mécaniciens Jaouher et Masrour étaient a bord d’un avion du Palais Royal en direction de Tripoli. D’autres navigants suivront. Sur place, après évaluation de la situation, nous avons réanimé la Lybian Airlines, exécuté les vols commerciaux, démarré l’entrainement des pilotes, et recruté des pilotes étrangers qualifiés. Après plusieurs mois, nous avons livré à la Lybie une compagnie aérienne qui fonctionnait. Vive la coopération inter-arabe.

Cet exemple est édifiant Il serait fastidieux de mentionner toutes les missions confiées a la direction PNT : la Guinée Conakry, Air Afrique, la formation des algériens, des saoudiens… On ne peut pas omettre de mentionner l’attentat lâche commis contre l’avion royal en plein vol. Les Commandants Kabbaj, Bekkari et Jaouher ont prouvé au Monde entier le haut niveau professionnel, le courage, la ténacité, l’endurance, l’intelligence, la lucidité et le sang froid de ce merveilleux équipage. Après cet événement, Monsieur Kabbej est nommé Inspecteur Général des FRA. Promu, Colonel Major puis Général en gardant son poste de Directeur du PN.

Capitaine Kebbaj à côté d'un Fouga Magister
Capitaine Kebbaj à côté d'un Fouga Magister
Après quelques années, vues les charges lourdes au sein de l’armée et afin de sortir des inconvénients de la "double casquette", le Général Kabbej a enfin décidé de nommer le Commandant Bekkari, Directeur du PN et le Commandant Aboulfaouz Directeur adjoint du PN. Après la disparition du Général Kabbaj à 55 ans, nous sommes devenus tout naturellement (Bekkari et Aboulfaouz) les gardiens du temple, pour continuer la mission que nous nous sommes fixées : la marocanisation et le maintien du niveau professionnel. Je saisis cette occasion pour rendre un vibrant hommage au General Kabbaj qui était un vrai patriote aimant jusque l’obsession son pays et sa compagnie. Sa sévérité n’était qu’apparente car au fond, il respectait et défendait les gens qui l’entouraient. Ayant pour seul souci le maintien de la discipline et d’un haut niveau professionnel, dont dépend la sécurité. Il était normal, que ceux qui dérogeaient aux règles fixées fussent à juste titre éliminés. Je ne citerais pas de noms.

La compagnie a décidé d’élaborer une nouvelle organisation qui a permis la nomination du Commandant Bekkari comme Directeur Central PN, le Commandant Aboulfaouz Directeur du personnel navigant et le Commandant Sebti Directeur des opérations aériennes (escales).

Monsieur Said Ben Ali, avait le sens du dialogue et des bons compromis, employant une politique très fine et très efficace, les conflits sociaux étaient rares et moins préjudiciables. Sa longévité administrative a été très bénéfique à la RAM permettant une stratégie stable et soutenue. Il a « consommé » plusieurs Présidents et lui tel le Sphinx est resté en poste. Malheureusement, il a été écarté sans ménagements prématurément pour des raisons obscures privant la RAM de l’un de ses plus brillants administrateurs. Après son départ, la compagnie a connu des moments difficiles émaillés par la divulgation de quelques scandales dont les médias ont fait pendant des semaines leurs choux gras.

Pour nous, les premiers navigants, l’heure de la retraite a sonné, nous partons avec le sentiment du devoir accompli et remettant le flambeau et le témoin aux jeunes pilotes qui souvent, étaient nos élèves. Actuellement, ils sont en train d’écrire une autre page de l’histoire de la Royal Air Maroc avec la même ferveur et la même abnégation. Ils méritent respect et considération.